nina & holden
I'll be here to hold your hand
'Cause you're my king and I'm your lionheart.
♢ ♢ ♢
« Les bras fermes. » Holden agrippa le bras d’une des filles, qui avait plus l’air d’un spaghetti qu’autre chose, et pressa légèrement pour qu’elle contracte les muscles. « Fermes ! Et tout est dans les abdos, alors prenez une bonne inspiration et contractez-moi tout ça. »
Il passait entre ses élèves, modifiant la position de l’un, posant une main sur le ventre de l’autre. Pour ce qui semblait être la millième fois depuis le début de l’année scolaire, il se demanda ce qu’il avait mérité pour se retrouver avec une telle bande de bras cassés. Il avait dû passer la première semaine à leur réapprendre à faire un simple entrechat et se battait désormais pour leur rentrer quelque chose dans le crâne – niveau premières années pas doués, on ne faisait pas mieux. Enfin, il blâmait surtout les professeurs de danse, incapables d’apprendre les rudiments du métier convenablement. Cela allait le tuer à la tâche, c’était certain.
« Okay Emma, laisse-moi te montrer. » Il se plaça derrière la jeune femme, une main contre son ventre et l’autre tenant son poignet. Il la plaça dans la bonne position et, ensemble, ils se mirent sur les pointes. Il tenta d’ignorer la faible douleur dans sa cuisse à ce simple mouvement, comme à chaque fois qu’il tirait sur ses muscles sans s’être échauffé avant. Emma lui offrit un sourire timide dans le grand miroir, timide mais fière, et rougit au clin d’œil qui lui fut offert comme réponse.
Ce fut à ce moment-là qu’il remarqua la nouvelle venue dans la salle de danse, la seule à ne pas porter de justaucorps. Il relâcha son élève en jetant un coup d’œil à la large horloge accrochée au mur. Ah. En effet.
« Okay, c’est tout pour aujourd’hui, merci. On passe aux arabesques demain. »
Les étudiants se dépêchèrent alors de prendre leurs affaires alors qu’il attrapait une bouteille d’eau. Il s’approcha alors de Nina, sourire aux lèvres. Il avait tellement l’air ridicule, simplement vêtu d’un vieux pantalon de survêtement et d’un débardeur trop petit pour lui, les cheveux attachés en une queue de cheval minuscule, alors qu’elle était parfaite dans ses vêtements de ville et avec son appareil photo à l’épaule. Le contraste était saisissant.
« Tu viens pour notre session de nu artistique ? » Il ignora les regards surpris de certains étudiants alors qu’ils sortaient de la salle, se contentant d’offrir un sourire taquin à Nina. Il se doutait bien que si elle était là, c’était bien pour le mitrailler, mais cela n’empêchait jamais Holden de pouvoir plaisanter là-dessus – elle n’avait jamais réussi qu’à lui faire tomber le t-shirt, après tout. Toujours provocateur dans son genre, il but une gorgée d’eau et en profita pour hausser les sourcils alors qu’il avait la bouteille contre ses lèvres. Une de ses élèves gloussa, peu discrète, mais il se contenta de l’ignorer. Son regard ne quitta pas Nina une seule seconde.

Sa besace sous le bras, son fidèle compagnon dans la main, Nina s’était frayé un chemin parmi la cohue et l’agitation qui régnait dans les couloirs de la faculté. Machinalement, ses pas la menaient aux endroits où elle avait l’habitude d’aller, quelques années plus tôt. Immergée dans ses pensées, elle ne fit pas tout de suite attention qu’on l’appelait depuis quelques minutes déjà. « Oui ? Mademoiselle… Prince ? » La jeune fille ouvrit la bouche afin de poser la question qui lui brûlait les lèvres mais ses yeux s’écarquillèrent, étonnée sans doute que Nina se souvienne d’elle. « C’est pour… le devoir », répondit-elle, cherchant ses mots, soudain intimidée, le feu aux joues. « Je ne comprends pas trop ce que vous voulez par ‘quelque chose qui sorte de l’ordinaire, ce que seul un photographe peut voir’, c’est très flou, je… » Nina la coupait aussitôt. « Exactement. C’est flou. Insaisissable. Et pourtant, vous le voyez, n’est-ce pas, miss Prince ? Vous voyez quelque chose et, pendant des heures, avec votre appareil, vous tentez de le capturer, l’instant, avec un grand I. C’est ce que je vous demande. Capturez-moi l’instant. Le vôtre. » Sur ces paroles énigmatiques, elle adressa un sourire chaleureux à son étudiante dont les yeux pétillaient déjà, anticipant les longues séances qu’elle s’apprêtait à réaliser. Elle continua donc sa route et, machinalement, ses pas tombèrent sur la porte d’une salle qu’elle avait l’habitude de fréquenter énormément plus jeune. Un sourire trahit son état d’esprit, alors qu’elle ouvrit lentement la porte de la classe de danse orchestrée par Holden. Elle le remarqua tout de suite, évidemment. Il emplissait la pièce de cet aura qui le caractérisait tant. Il n’avait pas tellement changé. Enfin. Si. Il avait prit du poids, de ce qu’elle pouvait en juger. Il n’était pas au point d’avoir pris vingt kilos mais le jeune homme svelte aux muscles fins avait laissé place à un homme à la carrure plus carrée, aux épaules plus larges et au regard perçant. Il avait mûri. Tout comme elle, ceci dit en passant. Elle l’observa à loisir, profitant de son inattention pour le prendre en photo. Une, deux, trois. Clic clic clic. C’était inné chez elle, comme l’extension de son bras. Certains qualifiaient son penchant pour un défaut. C’est vrai qu’elle pouvait devenir irritante quand elle s’y mettait, fermant inconsciemment la voie de communication extérieure. Holden se retourna alors vers elle, comme s’il avait senti sa présence. Elle lui afficha un sourire radieux, emboîtant son objectif et remettant le cache de protection, tandis que les étudiants partaient peu à peu. Elle se dirigea ensuite vers Holden, qui eut l’audace de lui lancer un «  Tu viens pour notre session de nu artistique ? », auquel elle ne put répondre qu’en levant ses yeux au ciel, amusée, comme toujours -elle devait l’admettre-, par sa répartie. « Evidemment, pour quoi d’autre ? » Répliqua-t-elle, néanmoins au tac au tac. « J’espère que tu t’es rasé cette fois » ne put-elle s’empêcher d’ajouter en voyant deux étudiantes les regarder, gloussant à propos de leur échange. Cadeau, Holden, pensa-t-elle en affichant son plus beau sourire. A coup sûr, elle venait de faire descendre en flèche sa notoriété auprès de la gente féminine. Tant mieux. « Ça fait longtemps… Comment tu vas ? » Conclut-elle, alors que les derniers étudiants fermaient la porte, les laissant complètement seuls dans la salle de danse. Ils s’étaient croisés depuis les deux semaines que Nina était revenue au Royal College of Arts mais ils n’avaient pas réellement pu renouer le contact. Aujourd’hui était l’occasion rêvée.

Holden n’aurait jamais cru revoir Nina un jour – ou alors peut-être à un de ces galas de charité dont le tout Londres était si friand, ou à l’ouverture d’une galerie d’art peut-être. Mais jamais il n’aurait cru possible qu’ils partageraient à nouveau le même espace dans les couloirs de l’école, qu’ils se retrouveraient à nouveau dans cette salle de danse chargée de souvenirs. Il n’aurait jamais cru Nina être le genre de femme à devenir professeur – mais, là encore, il ne se serait jamais cru capable d’une telle chose non plus. C’était tellement étrange, surtout alors qu’ils se souriaient comme deux imbéciles. Il était presque impossible de croire que des années les séparaient de leur dernière rencontre dans cette salle. Et pourtant…
Et pourtant elle avait toujours cet appareil photo en mains, prêt à être utilisé. Et pourtant il était toujours dans des vêtements de sport ne le mettant que très peu en valeur, un mince filet de sueur au front. Holden ne savait s’il devait se sentir soudainement rajeuni ou s’il prenait un coup de vieux. Un peu des deux sans doute.
Il était en train de défaire son élastique lorsque Nina répondit et s’arrêta de bouger alors qu’il passait une main dans ses cheveux pour les remettre en place. Il ne répondit que d’un « ah ah ! » tout ce qu’il y avait de plus sarcastique. Déjà, deux demoiselles ralentirent le pas avec un gloussement à peine contenu, et l’une d’elles ne se cacha même pas de laisser son regard glisser jusqu’à l’entrejambe d’Holden. Il ne répondit que d’un haussement de sourcil. Il avait beau réussir à les contenir un minimum lors des cours, au nom du professionnalisme, elles se permettaient toujours d’oublier la limite à ne pas franchir une fois le cours terminé. Et aujourd’hui atteignait des sommets, merci Nina.
Il attendit tout de même que la salle soit vide et la porte fermée avant de réponse. « Je suis parfaitement imberbe, merci beaucoup. » Bon… Ou pas. Mais, en tant qu’homme dans un univers qui se voulait féminin, son manque de poils sur le torse ne l’avait jamais tant dérangé que cela.
Il attrapa sa serviette posée sur la chaise la plus proche et s’essuya la nuque alors que Nina revenait déjà à la charge avec une autre question, plus neutre cette fois. Ils s’étaient déjà croisés dans les couloirs, et ce à plusieurs reprises, depuis que l’année scolaire avait commencé, mais jamais plus que quelques minutes. Il n’avait jamais vraiment le temps de rien, entre ses cours et aller chercher Johanna à l’école. Il se demanda d’ailleurs si Nina avait réussi à s’emparer d’une copie de son emploi du temps, pour savoir à quel moment elle pourrait lui sauter dessus avec son appareil photo et ses battements de cils.
« Ca va. Ca irait mieux si je ne me retrouvais pas avec des élèves qui ont l’air de n’avoir jamais posé un pied dans une salle de danse avant aujourd’hui mais… » Il accentua ses paroles d’un haussement d’épaule et d’un sourire. « On a vu pire, disons. Et toi ? » Il ne savait pas vraiment si la question n’était que ce qu’elle était ou s’il y avait un sous-entendu, un qu’est-ce que tu es devenu depuis la dernière fois que l’on s’est vu. Mais il ne se sentait pas vraiment de raconter qu’il n’était rien devenu du tout – il y avait mieux, comme conversation de retrouvailles.